Virginie Savry (@vivi_sa_vin) m'offre ici un texte inspiré par mon illustration " Soul pleureur ". qu'elle a vu sur mon Instagram d'illustration @Sly100dessins.
Voici sa version en ses mots, des émotions que j'ai jetées par milliers d'hachures.
Voici son texte et mon dessin
« Il ne rentre pas ce soir … ».
Cette chanson d’Eddy Mitchell tournait en boucle dans sa tête. C’était devenu son histoire depuis quelques heures ! Aussi incroyable que cela puisse paraître. Pathétique !
Pendant 30 ans, tous les matins, il s’était levé à 5h. Pendant 30 ans, tous les matins, il avait quitté la maison, laissant femme et enfants encore endormis pour aller prendre son train de 5h57. Pendant 30 ans, tous les matins, il était arrivé à 8h au bureau, déjà éreinté de ce voyage de 2h (enfin… plus ou moins 2h, selon l’état du trafic SNCF et RATP). Pendant 30 ans, il avait « compté » 8h par jour (comptable, c’était son métier). Pendant 30 ans, il avait repris le train en sens inverse le soir pour retrouver son foyer à 19h bien tassées. Son épouse Jeanne l’attendait, le repas était prêt, la maison impeccable. Leur maison, datant des années 30, en meulière, était petite mais douillette et avait un petit jardin. Ils n’avaient pas de gros revenus mais ils avaient pu s’offrir cette bicoque alors que Jeanne attendait leur 1er enfant.
30 ans … il avait donné 30 années de sa vie à son patron, à « la boite » comme ils l’appelaient tous avec les collègues. Il l’aimait sa boite. Il avait été embauché tout jeunot, à 20 ans, à peine. Il avait appris sur le tas. Aujourd’hui, il faisait quasiment partie des meubles… Il était la mémoire vivante de « la boite ». Il connaissait le moindre recoin du bâtiment, toutes les astuces du boulot. Tout était gravé, là, dans sa tête. 30 ans de bons et loyaux services.
Jean-Louis venait de fêter ses 30 ans de boite. Et le grand chef venait de le convoquer. Il était tout fier. Pour l’occasion il avait mis son plus beau costume. Le seul qu’il avait à vrai dire. Il l’avait acheté 5 ans auparavant pour le mariage de son 1er fils et ne l’avait jamais remis depuis ! Il lui allait toujours comme un gant, un brin démodé, mais peu importe ! Il se disait que cette convocation - enfin, pour lui, c’était davantage une invitation – c’était probablement pour le féliciter, une sorte de cérémonie organisée en son honneur. 30 ans, ce n’est pas rien, tout de même ! Lorsqu’il est arrivé dans le grand bureau du « patron », il fut ébloui par les meubles en bois massif, les décorations … Il y en avait bien du monde ! Son chef, le chef de son chef, le chef du chef de son chef, etc … Ils étaient tous là … Wahou ! C’était impressionnant. Jean-Louis en fut tout intimidé ! Puis la nouvelle tomba…
« Jean-Louis, c’est avec une grande tristesse que nous devons vous annoncer que vous êtes licencié. Notre société vient d’être rachetée et nous avons des postes en doublons. Vous n’êtes plus compétitif. » Ensuite les explications, les excuses - toutes plus mauvaises les unes que les autres - fusèrent. Mais il n’écoutait plus. Il était abasourdi. Il avait pris un coup de massue sur la tête, un coup de poignard en plein cœur, un coup de couteau dans le dos en fait ! Il n’arrivait pas à y croire. Il se pensait en plein cauchemar. Mais non … c’était la réalité, la dure réalité. Il ressortit du bureau patronal au bout d’une effroyablement longue demi-heure. Les 30 minutes les plus longues de sa vie… Elles semblaient plus longues que ses 30 ans de service !
Il retourna comme un zombie à son bureau, ne parlait plus, n’était plus conscient de ce qui l’entourait. Il ressassait : « Mais dans quelle société vivons-nous pour qu’on vous annonce ça, comme ça, de but en blanc ? ». Ça lui rappelait avec ironie un certain « Casse-toi, pauvre con ». C’était lui le pauvre con ce soir…
A 17H comme tous les soirs, il éteignit son ordinateur et prit ses affaires. Sa tête était à la fois vide et trop pleine. Comment faire face à cette nouvelle maintenant ? Comment vivre encore un mois ainsi : le temps qu’il « se retourne », on lui laissait finir le mois … Royal ! Grand seigneur !
Dehors il pleuvait averse…. Manquait plus que ça ! Il n’avait pas pris son parapluie, la météo avait annoncé du soleil. Alors il marcha sous la pluie battante en remontant le col de son veston en laine usé par les années. Il marcha, marcha, marcha, sans même savoir où il allait. C’est là que la chanson d’Eddy Mitchell, son idole de toujours, lui emplit le cerveau. Il se dit qu’il ferait bien aussi d’aller dans un bar, comme le chômeur de la chanson. Sauf que lui ne fumait pas. Et puis sa femme, qu’il aimait toujours tendrement, allait s’inquiéter s’il ne rentrait pas à la même heure que d’habitude. Il était déjà en retard de toutes façons : il avait raté son train, à errer comme ça ! Cependant, la chanson posait les vraies questions : comment allaient-ils vivre maintenant ? Son épouse n’avait jamais travaillé pour se dédier à l’éducation de leurs 3 enfants. Les enfants étaient grands maintenant, mais 2 étaient encore à la maison et il fallait payer leurs études !
Jean-Louis était de nature optimiste : il se dit qu’il trouverait probablement une solution avec son nouvel employeur : POLEMPLOI
2019 © Sly Deshaies - Virginie Savry