Pour la nouvelle année j’ai reçu ce très beau texte de Virginie Savry.
Une histoire qui lui a été inspirée par mon dessin “Old Tom in the Rain”
Voici son texte et mon dessin
Jean regardait la mer. Il était juché sur le promontoire, tout en haut de la falaise. Son regard se perdait au loin, dans l’horizon brumeux tandis que la mer déchainée se fracassait avec violence sur les rochers acérés en bas de la falaise abrupte.
Ce jour-là, il pleuvait averse, mais Jean restait là, figé, le regard fixe. Les larmes que ses yeux gris et fatigués versaient se mêlaient aux gouttes d’eau que la pluie faisait ruisseler sur son visage. La chaleur de ses larmes contrastait avec le froid de la pluie. Louise était partie…
Louise avait quitté ce monde quelques semaines plus tôt. Depuis tout s’était enchaîné… les obsèques, la succession… Les amis, la famille, les voisins … tout le monde passait dire un mot attentionné, le téléphone n’avait de cesse de sonner …
Et puis aujourd’hui, d’un coup, plus rien : juste le silence et la solitude. Il sentait qu’un grand vide s’emparait de lui, prenant racine au plus profond de son cœur, de ses entrailles.
Alors ce matin-là, il prit son inusable ciré jaune, son incontournable bonnet de laine (que Louise lui avait tricoté des années plus tôt) et il partit. Il claqua la porte de la maison, qui avait été la leur depuis plus de 40 ans, et marcha en direction de la mer.
Jean était un marin. La mer était sa meilleure amie depuis toujours. Il y a quelques années, il avait dû prendre sa retraite et vendre son bateau de pêche mais il avait tout de même conservé son vieux canot. Que serait un marin sans bateau ? Ça n’avait pas de sens ! Cette pensée lui arracha un sourire tandis qu’il arrivait au bord de la falaise.
Qu’il aimait ce paysage : la mer à perte de vue face à lui et la lande qui s’étendait derrière lui. Seul, au bout du monde. Seul, face au monde. Il inspira et expira fort, comme s’il cherchait à remplir le vide qui s’emparait de lui par l’infini que lui offraient ces étendues sauvages. Il entendit le son du clocher de l’église du village en contrebas, les cloches faisaient écho aux battements de son cœur. Lorsque le silence revint, ce fut comme si son cœur s’arrêtait. Et les larmes se mirent à couler lentement le long de ses joues. Il les avait retenues si longtemps. Aujourd’hui, enfin, il pouvait faire son deuil, ou tout au moins, le commencer… Il resta ainsi longtemps, sous la pluie, le regard vide et le cœur emplit de chagrin et de solitude. Il regardait et écoutait le spectacle lancinant de la mer. Ça le berçait et le calmait.
A un moment, la pluie s’arrêta et ses larmes aussi. Il cligna des yeux pour chasser l’eau qui pesait sur ses cils. Il prit alors conscience qu’il était transit de froid et trempé jusqu’aux os. Le soleil revenait petit à petit et arrivait parfois à transpercer les nuages. Les rayons de l’astre lumineux le réchauffaient un peu, lui et son petit cœur meurtrit. Il se dit qu’il y avait probablement un arc en ciel quelque part … Il avait toujours été fasciné par ce phénomène : la réfraction de la lumière du soleil à travers les gouttes d’eau (il avait appris cela à l’école il y a longtemps mais ne l’avait jamais oublié). La nature, si belle et implacable, nous offre, à ses heures, de magnifiques spectacles, presque magiques.
« La nature nous offre tellement ». C’était une phrase qu’il n’avait cessé de répéter à sa femme et ses enfants tout au long de sa vie. « Que pourrais-je dire d’autre, moi qui vit de ce que la mer veut bien nous offrir ? Respectez la nature, respectez-vous les uns, les autres ! Respectez votre prochain ! Si vous ne la respectez pas, elle reprendra ce qu’elle nous a donné ! ».
Depuis, ses enfants avaient grandi et quitté le nid, et sa Louise venait de le quitter à son tour. A qui allait-il pouvoir répéter cela aujourd’hui ? Il secoua la tête et chassa la mélancolie et les idées noires comme le soleil chassait la pluie. Il fit demi-tour, tournant le dos à la mer et reprit la route de la maison. Il se surpris à rêver d’une douche chaude et d’un bon café. Après tout, la vie continue.
Aujourd’hui, il irait voir Louise au cimetière. Mais ça ne serait pas une visite habituelle, presque mécanique : enlever les fleurs abimées, nettoyer la tombe.... Non. Il irait dire au revoir à Louise. La mer, la pluie et le vent lui avaient soufflé à l’oreille – et son cœur l’avait entendu – que Louise ne reviendrait plus.